Paroles de lecteurs « N'importe quel métier, pas éleveur » : comment éviter de faire fuir les jeunes ?
Comment peut-on limiter la chute du nombre de futurs éleveurs ? Cette question, titre d'un article de Web-agri, a fait réagir les lecteurs il y a quelques semaines. Chacun y va de sa réponse.
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Selon Alain, l'envie et la motivation pour devenir éleveur s'émoussent déjà dans l'enseignement agricole : « Au départ, les élèves sont motivés pour uneinstallation en élevage mais lorsqu'ils sont en stage en exploitations, qu'ils ont accès à la comptabilité et qu'ils voient le revenu dégagé pour le nombre d'heures travaillées, ils déchantent. »
« Pendant leurs études, ils déchantent déjà »
« Même dans les classes de bac pro CGEA comme celle de ma fille par exemple, sur une trentaine de lycéens, seuls 4 souhaitent vraiment s'installer en élevage », appuie Gaby. Ce désintérêt progressif touche aussi bien les enfants d'agriculteurs que ceux qui ne sont pas du milieu, et représentent « 90 % desjeunes en formation agricole », souligne Arthur. « Une fois qu'ils ont ouvert les yeux, ils se sauvent à toutes jambes, effrayés [...] », fait-il remarquer.
Comment lutter contre ce moindre attrait pour le métier d'éleveur au fur et à mesure qu'ils affinent leur orientation professionnelle ? « Faut être fils à papa », lance Louis. « Enfant d'agris ou de riches, reprend Gilles. Difficile de trouver une ferme si t'as pas 500 000 € cash... » Tous deux font référence aux capitaux nécessaires, de plus en plus importants, pour reprendre une exploitation. « Un industriel amortit son outil sur 3 ans, les éleveurs sur au moins 20 ans, tellement c'est peu rentable », observe Steph72.
Limiter les capitaux à investir
Jérôme pointe, comme Alain, le manque de revenu agricole, derrière face à la charge de travail. « Pas étonnant que personne n'envisage d'emprunter 500 000 ou 600 000 euros pour travailler 75 heures par semaine et gagner 1 000 euros par mois », martèle-t-il. Et parmi ceux qui s'installent malgré tout, « beaucoup arrêtent, surtout pour travailler moins », continue Nico.
« 500 000 € cash pour s'installer »
Et d'ajouter : « Surtout à une époque où on parle de la semaine de quatre jours, où il est impossible d'avoir un remplaçant pour une semaine, où les grands groupes industriels refusent de payer correctement les produits agricoles, où les consommateurs veulent un prix de l'alimentation toujours plus bas. »
Avoir des prix rémunérateurs
« Acheter au juste prix et ne pas nous prendre pour des imbéciles... », complète Jean-Pierre. Cyril est sceptique : « Je ne suis même pas sûr qu'un prix du lait et de la viande plus rémunérateur suffise pour donner envie de se casser la nenette tous les jours avec des bêtes. »
Éric propose de « limiter les marges des intermédiaires et des centrales d'achat pour augmenter le salaire des éleveurs et rester compétitifs [...] ». Hugues appelle à « libérer les producteurs l'agrobusiness, cela leur redonnera un peu de bon sens paysan ». « Si les prix augmentent, ce sont encore les fournisseurs et le para-agricole qui en profiteront », craint Patrick.
Juste quelques centimes de plus au litre de lait.
steph72 revient sur le temps de travail : « Il faut un budget de remplacement pour ne pas travailler 70 h par semaine. » Et, ensuite, sur les prix payés aux producteurs, insuffisants : « Comment le jeune peut-il reprendre un si gros capital et se faire remplacer régulièrement ? [...] », interroge-t-il. « Aujourd'hui, les paysans veulent vivre comme le reste de la société », constate Michel.
Ce besoin de « prix agricoles rémunérateurs » est également mis en avant par le Gaec de Fortville. Ainsi que celui « d'une fiscalité adaptée ». « Nous sommes des chefs d'entreprise qui prenons énormément de risques [...] », justifie-t-il. « [...] Qui accepterait de travailler comme ça pour être pressé comme un citron ? Un peu de bon sens... », requiert Régine. D'autant qu'il ne suffirait pas de « payer le lait beaucoup plus cher », comme le réclame Philippe, « juste quelques centimes : 50 c départ exploitation serait déjà bien », évalue Marie.
Réduire la charge de travail
Christophe rebondit : « Si on veut installer des jeunes, il faut des prix pour une rémunération à la hauteur de l'engagement demandé. Ce ne sont pas les aides (qui sont ponctuelles) qui feront la réussite de l'installation. Tant que les politiques, les industriels et les consommateurs n'auront pas compris cela, le constat sera le même. » « [...] Pour cela, il faut un vrai courage politique de la part de nos responsables, ce qui est loin d’être le cas... », déplore Charles. Bernard, plus radical : « Ils ont détruit la filière lait, maintenant c'est trop tard [...] »
Gilles n'est pas d'accord : « De bons prix ne sont pas la solution. S'ils montent, la production va repartir en flèche et les cours se casseront la figure. L'installation ne peut qu'être encouragée par des aides compensatoires accompagnées d'un controle des reprises et investissements souvent trop elevés et non rentables. »
Encore des fous ou des bobos pour se lancer !
Alors pour s'installer en élevage, « soit tu rêves, soit tu ne comptes pas, soit tu ne connais pas le métier », résume Gilles. « Il y a encore des fous dans nos campagnes, espérons que la passion ne retombe pas trop vite », avance Cmoi07. « Il y aura bien quelques bobos pour se lancer [...] », enchaîne Arthur. Même aux enfants d'éleveurs, Thefrenchfarmer conseille « d'éplucher la compta de l'exploitation familiale » « Encore trop d'installations servent à relancer des structures en mauvaise santé », juge-t-il.
Moins importer, sans libre-échange
Christian suggère, pour attirer les jeunes vers l'élevage, « d'arrêter d'importer massivement de la viande de pays n'imposant pas des normes aussi strictes qu'en France ». Autrement dit par Bouboule : « [...] Tant que les industriels pourront s’approvisionner librement n’importe où sur la planète, au moins disant économique, social et environnemental, on aura aucune chance… »
Françoise partage ces propos : « Être payé correctement en fonction des heures travaillées, mais aussi des normes imposées et de la qualité de notre élevage ». « [...] Tellement de contraintes et taxes de l'Union européenne que le métier et la vie d'éleveur sont devenus vraiment compliqués hélas... », soupire Anne-Marie. « Qu'on cesse de nous pourrir la vie », espère Jean-Claude.
Il faut juste leur laisser faire leur métier !
Sylviane exhorte à « stopper les traités de libre-échange [...] ». Pour did, il faudrait « une Pac qui aide les agriculteurs au lieu de sanctionner ». « Sinon, pas la peine d'installer des jeunes éleveurs », considère-t-il, témoignage à l'appui : « La vocation agricole de mon fils a pris fin le jour où il a assisté à un contrôle. » « Les aides doivent leur être réservés en priorité, avec des engagements », préconise Joseph.
« Il faut juste leur laisser faire leur métier [...], insiste Eugène. Maintenant un éleveur doit être informaticien, juriste, spécialiste des formalités administratives, comptable, secrétaire et, s'il lui reste du temps, accessoirement, éleveur ».
Réduire la pression foncière
José met les pieds dans le plat : de toute façon, « où pourraient-ils s'installer ? Toutes les terres sont reprises par les agriculteurs voisins... » Florian pense, lui aussi, que « le premier problème est là. Déjà que ceux en place arrêtent de manger les terres de ceux qui s'installent ou souhaitent s'installer ! » À propos du prix des terres élevé, Éric recommande de « s'installer en Ukraine ou Argentine, puisque le foncier agricole est moins cher, et vu qu'on est payé au cours mondial... »
« Revenir à de plus petits élevages » ?
Jacques encourage à limiter le développement des mégafermes. « Alors que c'est le seul système viable actuellement ? », contredit Bernard. Jacques maintient : « Les unités de production géantes ne créent pas d'emplois, bien au contraire. » Patrick engage également à « revenir à de plus petites fermes ». « Qu'elles ne seraient pas viables est une rumeur !, argue Gilles. Tout le monde les critique, voire se moque d'elles. Du coup, les jeunes pensent que c'est impossible d'en vivre... Même les fils de petits ne cherchent qu'à grossir, et voient ensuite qu'ils gagnent moins que leurs pères. »
Bernard cite la ferme des 1 000 vaches qui, d'après lui, « [...] est l'un des seuls modèles permettant des installations, sur le plan financier et social, en investissant moins tout en gardant un revenu correct et en rendant possible la prise de congés [...] ».
Choisir les cultures ou le salariat
C'est pourquoi Christophe « découragerait » de s'engager dans l'élevage. « Mieux vaut être salarié agricole », estime-t-il. « Faire n'importe quel autre métier, mais pas éleveur ! », répète Cmoi07. Christophe, fataliste : « [...] Moi, j'arrête et aucun de mes enfants ne reprendra. L'agriculture, c'est fini chez nous et chez bien d'autres, et c'est tant mieux. [...] »
« Aujourd'hui, on vit dans une société de vacances, de week-ends et loisirs. Les jeunes ne sont pas fous, ils ne veulent pas être esclaves toute leur vie de leur travail, poursuit-il. Le renouvellement des générations en élevage, nada. [...] » « Oui, qu'ils fassent autre chose les pauvres !! C'est leur sauver la vie », renchérit Christophe.
N'importe quel autre métier, mais pas éleveur !
Autre suggestion de Marine : « Qu'ils s'orientent plutôt vers le végétal ! » Ce qui ne serait pas sans conséquence, alerte Benjamin, parce que « productions végétales et animales sont intimement liées ». « Moins de fumier et lisier », c'est « plus d'engrais chimique », ce qui n'est « ni économique ni écologique ».
Vouloir installer coûte que coûte
« Installer des jeunes, pour remplacer les éleveurs en place qui ont compris le système et qui en ont marre... [...] », ironise Christophe. Jacques sur le même ton : « En continuant à leur mentir en disant qu'on ne peut pas se passer de l'élevage, que sinon la terre serait une friche géante et sans vie, qu'ils nourrissent le monde durablement, que les consommateurs se préoccupent de leur bien être... »
Arrêter de leur mentir.
« Il faut leur dire la vérité, prône Cantalou. L'élevage n'est pas le monde des bisounours. Certains vivent bien mais la plupart ont des revenus moyens au vu des astreintes. Ce sont le para-agricole et les industriels qui veulent installer des jeunes, ceux qui sont en place ne veulent pas que leurs enfants soient piégés financièrement. »
Danielle conclut : pour limiter la chute nombre de futurs éleveurs, il faut que les jeunes aient « beaucoup de force et de courage ». Florent invite les producteurs et les générations futures à « [...] ne pas lâcher, se battre jusqu'au bout et manifester pour se faire entendre ». « Dans 20 ans, il n'y aura plus d'éleveurs », assène Christiane.
« Éleveur est un beau métier »
Dédé a un avis bien différent : « Bravo les jeunes ! Vu la décapitalisation bovine, les prix devraient se maintenir ! J’ai bon espoir pour la filière. Éleveur est un beau métier, contraignant mais qui a aussi des petits avantages que tout le monde oublie. On bosse dehors avec les animaux et le vivant, on est son propre patron, on peut choisir sa stratégie et il y a plein de manières d’être agriculteur. Si on est organisé, on peut aller chercher les enfants à l’école de temps en temps, les prendre dans le tracteur pendant les vacances… C’est une manière de vivre, pas un métier. »
« Et personne ne chiffre le bois coupé en bout de champ pour la maison, la facture d’électricité payée par la ferme, les nounous économisées, etc. Les artisans aussi bossent beaucoup, les boulanger se lèvent tôt. Il est temps de donner une bonne image de notre profession. Et que ceux qui s’en plaignent à longueur de journée en changent ! Ça fera de la place aux jeunes !! »
Dans quel métier, trouver cet épanouissement et cette liberté.
« Évidemment que le cadre de travail est idyllique, travailler avec des animaux, les faire naître, vivre, grandir est une sacrée responsabilité, sans parler de l'attachement. Pour ma part, arriver à gagner la confiance d'une bête est déjà une sacrée récompense. Le souci est quand le niveau d'endettement dépasse la valeur de l'exploitation ! », nuance Momo.
Steph72 prêche « le pragmatisme plutôt que de l'optimisme béat. » « Pourquoi autant de decapitalisation ? Faut se poser les bonnes questions et ne pas être naïf. Combien d'ardoises chez les fournisseurs ? Bien gagner sa vie, c'est se prélever 1 200 € par mois pendant une carrière malgré les risques et la responsablité financière ? Même un employé communal gagne plus qu'un agriculteur ! Ne parlons pas des gens qui vivent des agriculteurs... Les banques sont frileuses pour prêter puisque c'est si peu rentable vu le niveau de charges. Un bâtiment logettes coûte 10 000 € la place neuf, un tracteur 100 ch plus de 100 000 €... [...] »
Dédé : « Je suis en fin de carrière, et j’aime mon métier. En système herbager, je n’ai pas mal gagné ma vie, je suis pas devenu millionnaire non plus… mais l'existence que je mène à la campagne me plaît. Ça pourrait être mieux, toutefois je ne vois pas dans quel métier je trouverais cet épanouissement et cette liberté. Après c’est dur, c’est des sacrifices… Le lait pourrait payer plus, on ne va pas se mentir. [...] Mais essayons de ne pas toujours voir le verre à moitié vide ! »
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